DÉONTOLOGIE

DÉONTOLOGIE
DÉONTOLOGIE

Étymologiquement, la déontologie est la science des devoirs. C’est ainsi que Littré l’a définie, sans commentaire ni exemple; car, au moment où il donnait cette définition, il s’agissait d’un mot savant sans application positive. Cette notion philosophique s’est, à l’époque contemporaine, limitée et concrétisée.

Elle s’est limitée en ce qu’elle a été, de fait, monopolisée par le droit professionnel. Quand on parle, aujourd’hui, de déontologie, on pense toujours aux devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice même de leur métier. Toute profession impose des devoirs à ceux qui l’exercent. Au sens large, toute profession a donc une déontologie. Quand la profession s’organise, elle tend à se donner un statut codifié, ou tout au moins des usages, précisant les devoirs de ses membres. Elle le fait dans le cadre des groupements et associations professionnels. Ainsi s’est formé tout un droit disciplinaire. Cette construction est plus ou moins développée selon les professions.

Pour les plus avancées, les formulations déontologiques ont pris un aspect détaillé et autoritaire, émanant d’organes officiels de la profession. Elles s’expriment en articles codifiant une déontologie concrète. Mais la plupart des professions en restent à une période d’évolution moins avancée. Ce sont les professions libérales, tournées, plus que les autres, vers l’humanisme, qui se préoccupent le plus de codifier leurs règles de déontologie. Leurs organes officiels sont particulièrement soucieux d’en maintenir le niveau moral.

Il n’est pas de profession, cependant, qui ne cherche à veiller au respect, par certaines règles considérées comme essentielles, du bon exercice du métier commun. À défaut de textes codifiés, ces règles prennent l’aspect d’une coutume. Celle-ci complète la lettre des textes et des contrats exprès qui, en droit civil, commercial ou administratif, imposent des devoirs à la profession.

1. La formulation

Les sources

Le mot « déontologie » est entré, dans le droit positif, sur la présentation du professeur Portes, président de l’Ordre des médecins: en application de l’ordonnance du 24 septembre 1945, le Conseil d’État a approuvé, pour en faire un règlement d’administration publique, le Code de déontologie du 27 juin 1947, applicable aux membres de cet ordre médical. Peu modifié dans le nouveau règlement d’administration publique du 28 novembre 1955, il fut en revanche profondément remanié par le décret du 28 juin 1979. De même les règlements pris au même chef par les chirurgiens-dentistes (3 janv. 1948) et les sages-femmes (30 sept. 1949) ont-ils été remplacés respectivement par les décrets des 22 juillet 1967 et 8 août 1991.

De ce fait, la déontologie s’est concrétisée. Au lieu de se définir dans l’abstrait, elle vise les cas couramment rencontrés par le professionnel dans l’exercice de son métier. Elle cherche à donner, impérativement, à ces cas des solutions pratiques et précises définissant les devoirs du professionnel. Sous sa forme codifiée, la déontologie ressemble ainsi un peu à une casuistique.

Quand la profession a une organisation officielle, les textes qui la lui donnent ne manquent pas de se préoccuper de sa déontologie. Ainsi, l’article 17 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 réformant la profession d’avocat donne mission au conseil de l’ordre de chaque barreau « de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession, et d’exercer la surveillance que l’honneur et l’intérêt de l’ordre rendent nécessaire », et l’alinéa suivant ajoute: « de veiller à ce que les avocats soient exacts aux audiences et se comportent en loyaux auxiliaires de la justice ». À cet effet, il convient que la profession formule des règlements que le même article 17 confie, à chaque ordre local d’avocats, le soin de codifier.

Dans les professions publiques, une déontologie, au sens large, s’est également établie, sous un contrôle hiérarchique. Mais sa source est différente, car la discipline exigée des membres de la fonction publique n’a pas le caractère démocratique des règles de déontologie établies par la profession elle-même.

Vers une déontologie interprofessionnelle

Par ailleurs, les représentants respectifs de certaines professions, travaillant en équipe, ont cherché à définir les règles déontologiques de leur activité commune. Un effort remarquable, en ce sens, a été poursuivi par les associations régionales pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence. La protection de l’enfant en danger moral exige une collaboration harmonieuse de plusieurs professions. Éducateurs ou rééducateurs, psychologues et psychanalystes, médecins pédiatres et psychiatres, assistantes sociales nouent ainsi des rapports d’équipe autour de l’enfant. D’autres rapports communs s’établissent entre les membres de ces professions travaillant en équipe et certains interlocuteurs: famille de l’enfant, juge des enfants. Au début des années 1960, l’U.N.A.R. (Union nationale des associations régionales pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence) consacrait des journées d’études à ce programme (Paris, nov. 1963). La revue Sauvegarde de l’enfance en a publié les travaux (mars-avr.-mai 1964).

On n’a pas encore formulé un code de déontologie commun à ces professions. Celui-ci ne pourrait prendre l’aspect que d’une convention, établie sous le contrôle des autorités publiques intéressées, entre les organes respectifs des professions. Sa détermination est parfaitement compatible avec l’existence d’une déontologie propre à chacune des professions qui collaborent dans l’équipe, et ne fait pas double emploi avec elle. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une déontologie interprofessionnelle.

2. Impossibilité d’une codification complète

L’existence de devoirs non codifiés, mais dont l’observation est essentielle à la profession, est reconnue par les codes et les règlements qui établissent les règles déontologiques professionnelles. On a cité, plus haut, la loi du 31 décembre 1971 concernant l’ordre des avocats. Dans le règlement qu’établissent ces derniers, les mots « probité », « désintéressement », « modération », « confraternité », « honneur » sont trop riches pour pouvoir être enfermés dans des formules casuistiques. Une codification ne peut les cerner. Les règlements déontologiques se bornent donc ici à mentionner des exigences générales. Celles-ci tiennent, en réalité, une grande place dans les devoirs professionnels, spécialement pour les professions libérales.

Ces professions-là sont particulièrement sensibles à l’honneur et à la dignité professionnels. La sauvegarde de ces valeurs paraît spécialement nécessaire dans des activités qui font appel à la confiance du client. Cette préoccupation interdit aux membres des professions libérales de se charger de tâches susceptibles de compromettre la considération dont elles ont besoin. Elle est également incompatible avec certaines manifestations trop tapageuses ou trop manifestement intéressées de vie professionnelle. Comme les professions libérales, celles d’officiers ministériels sont, quant au respect, chez leurs membres, d’une dignité ainsi comprise, volontiers exigeantes.

Cette rigueur s’est toutefois beaucoup atténuée. Les barrages établis contre une patrimonialisation des services de ces professions, qui, à l’origine, étaient considérées comme d’un rang supérieur aux valeurs comptables, se sont abaissés. Tout d’abord la constitution de sociétés professionnelles a été rendue licite entre membres de professions libérales (loi du 29 nov. 1966). Comme toute société, elles impliquent, chez les professionnels associés, la poursuite commune, au moyen de leur profession, de bénéfices partageables. Puis, après de longues tergiversations, une loi du 31 décembre 1990 définit les conditions particulières d’exercice sous forme de sociétés commerciales des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire. De son côté, la Cour de cassation avait reconnu depuis longtemps que les « cabinets » des professions libérales ont une valeur comptable capitalisée, dont il est juste de faire état dans les liquidations de successions ou de communautés conjugales. Et les tribunaux, malgré les précautions de style, admettaient la validité de la vente des cabinets de professions libérales. Ainsi, la déontologie englobe-t-elle tout ce qui, dans l’humanisme du professionnel, intéresse, même indirectement , sa dignité au regard de sa profession. Car des actes immoraux peuvent le disqualifier pour exercer celle-ci, même s’ils ne se rattachent pas directement à son métier. Les règles générales de la morale peuvent, sous cet aspect, s’incorporer à la déontologie professionnelle. Et, de même les règles de la législation civile et sociale, auxquelles le professionnel est tenu.

La déontologie contient aussi des préceptes destinés à maintenir l’ordre intérieur de la profession, lequel commande des devoirs que les règlements adoptés formulent à la fois sous leurs aspects patrimoniaux et extra-patrimoniaux.

3. Les sanctions

C’est sous forme de droit disciplinaire que la déontologie est entrée dans le droit positif. Plus généralement, ce que l’on appelle « droit disciplinaire » apparaît comme une autodéfense des groupes juridico-sociologiques. La légitimité de ces groupes autorise leurs organes à utiliser la voie des sanctions pour que leurs membres respectent les devoirs qui correspondent aux buts poursuivis par leur collectivité et qu’ils ont acceptés par leur adhésion même. Cette règle générale vaut, particulièrement, pour les groupes professionnels. C’est pourquoi ces derniers sont admis à prononcer des peines disciplinaires.

Parmi celles-ci, il existe des censures purement morales qui visent à frapper, dans leur considération, les professionnels ayant manqué à leurs devoirs: tels sont le blâme et la réprimande . L’avertissement peut être aussi une peine disciplinaire, mais il a surtout un caractère comminatoire; il est destiné à empêcher de nouvelles violations de règles déontologiques.

Dans certaines professions, il est admis que le groupe professionnel peut prononcer des amendes pécuniaires contre ceux de ses membres manquant au règlement établi par les organes représentatifs. Il faut, toutefois, que l’amende ait été expressément prévue et que le règlement ait été porté à la connaissance du professionnel.

Enfin, les peines disciplinaires les plus graves consistent dans la suspension ou l’exclusion du professionnel hors du groupe. Dans les professions qui ne sont pas légalement réglementées, la suspension ou l’exclusion concernent seulement l’appartenance au groupe prononçant la peine disciplinaire. Mais, dans celles auxquelles la loi impose une discipline d’ordre public, elle peut autoriser les organes professionnels à interdire, par une peine disciplinaire, l’exercice même de la profession. Le professionnel en est ainsi chassé. C’est de cette manière que l’exclusion fonctionne pour les médecins, les avocats, les officiers ministériels.

Les textes énumérant, pour une profession, les peines disciplinaires sont limitatifs en ce sens qu’aucune autre peine ne peut être prononcée. Il ne faut cependant pas absorber, dans la déontologie professionnelle, l’ensemble du droit disciplinaire. Sans doute, celui-ci est toujours un droit par lequel les autorités d’un groupe sanctionnent, en son nom, la violation des devoirs de ses membres. Mais cette auto-défense des groupes s’étend à d’autres collectivités organisées que la profession. Ainsi, le chef d’entreprise exerce un pouvoir disciplinaire à l’égard du personnel de l’entreprise, le conseil d’une université à l’égard des étudiants de celle-ci, le chef d’un service public à l’égard des membres de ce service. Et, de même, les organes de toute association à l’égard de ses associés. La langue usuelle ne parle pas alors de déontologie, parce que la collectivité douée d’une justice disciplinaire n’est pas, en ce cas, la profession. Mais les règles générales gouvernant cette justice sont analogues.

4. La législation professionnelle

Ici apparaît un principe démocratique. La profession se donne à elle-même sa loi – manifestation spontanée de son autonomie –, et les pouvoirs publics la respectent quand la profession est organisée par des textes législatifs. Mais l’État contrôle l’exercice que la profession fait ainsi de ses droits internes. Ce contrôle est plus ou moins étendu. Il porte à la fois sur le pouvoir juridictionnel et sur le pouvoir législatif de la profession. C’est de ce dernier qu’il est ici question.

Dans les professions auxquelles une législation nationale ne donne pas d’organisation officielle, les groupements spontanés de professionnels peuvent déterminer, par des règlements votés par eux, les devoirs imposés à leurs membres ainsi que les sanctions possibles. Faute d’organisation imposée, les membres d’une profession peuvent se répartir en plusieurs groupes librement constitués. Et chaque profession peut définir, pour ses adhérents, un droit qu’elle leur rend applicable.

Depuis la loi du 21 mars 1884, incorporée aujourd’hui dans le Code du travail, la législation française met l’organisation syndicale à la disposition des groupements professionnels, et chaque syndicat peut établir, pour ses adhérents, une réglementation déontologique. Le droit français admet, ici, le pluralisme; différents syndicats peuvent d’ailleurs établir à leur usage, pour la même profession, une réglementation quelque peu différente, selon leur orientation et selon qu’il s’agit d’un syndicat de chefs d’entreprise ou de salariés. Les chefs d’entreprise confient souvent cette réglementation à leur « chambre syndicale ». Rien n’interdit, d’autre part, à des professionnels de se grouper pareillement en une association (soumise à la loi du 1er juill. 1901); de telles associations peuvent également imposer à leurs membres un règlement déontologique.

Ces règlements constituent des actes juridiques, dont le contrôle est soumis aux tribunaux judiciaires, qui peuvent en prononcer la nullité s’ils portent atteinte à des règles d’ordre public. Par exemple, les « ententes professionnelles » limitant, au préjudice des consommateurs, la liberté de la concurrence sont nulles, en principe, et même punissables (ordonnance du 28 sept. 1967, qui reprend, en les modifiant légèrement, les dispositions introduites, dans les art. 59 bis et suivants de l’ordonnance no 45-1483 du 30 juin 1945, par le décret-loi du 9 août 1953).

Dans les professions que la loi française organise officiellement, le caractère démocratique de la législation déontologique s’atténue par l’aggravation du contrôle étatique. Ainsi, pour les professions médicales, on l’a vu, les Codes de déontologie, préparés par les Ordres de médecins, de chirurgiens-dentistes et de sages-femmes, ont été soumis au Conseil d’État, avant que le texte (corrigé sur certains points par celui-ci) soit publié par des décrets portant règlement d’administration publique.

Appuyés sur des prérogatives conquises depuis longtemps, les avocats sont plus libres: chaque barreau établit son règlement intérieur sous le seul contrôle des tribunaux judiciaires, qui peuvent annuler les dispositions contraires à l’ordre public. Un assez grand nombre de professions libérales ayant été, comme la profession médicale, constituées en ordres nationaux, le code de leurs devoirs professionnels a pu être promulgué par décret: ainsi, pour les architectes, le décret du 20 mars 1980 pris en application de la loi du 3 janvier 1977 remplaçant le régime de l’ordonnance du 31 décembre 1940. Pour les experts-comptables, l’ordonnance du 19 septembre 1945, plusieurs fois modifiée depuis, a codifié directement ses règles déontologiques. Au contraire, cette codification n’est pas faite par la loi du 7 mai 1946 fondant l’Ordre des géomètres-experts. C’est donc la jurisprudence des conseils de l’Ordre qui tiendra lieu, pour cette profession, de réglementation déontologique. Il en allait de même pour les vétérinaires, conformément à l’article 319 du Code rural, jusqu’à la promulgation d’un décret du 19 février 1992 portant code de déontologie vétérinaire.

Pour les officiers ministériels, sociologiquement très proches des professions libérales, mais qui exercent, pourtant, une charge publique, les règlements déontologiques émanent moins de la profession elle-même que de l’État statuant par voie de décret. Cependant, l’État laisse aux professionnels eux-mêmes un pouvoir limité de réglementation de leur déontologie. Ainsi, l’ordonnance du 2 novembre 1945, article 4-1, comprend, parmi les attributions de la chambre départementale des notaires, celle « d’établir, en ce qui concerne les usages de la profession et les rapports des notaires, tant entre eux qu’avec la clientèle, un règlement qui sera soumis à l’approbation du ministre de la Justice ».

Mais c’est surtout par la jurisprudence disciplinaire que se manifeste l’autonomie de la profession.

5. Le contentieux professionnel

L’autorité de la profession sur sa discipline déontologique implique la compétence de juridictions professionnelles pour statuer sur le contentieux soulevé par cette discipline. Celui-ci est de nature pénale. La profession n’a pas qualité pour prononcer directement, contre un professionnel, des condamnations exécutoires avec l’appui de la force publique et tendant à le contraindre à exécuter ses obligations. Les organes professionnels peuvent, sans doute, par des avertissements, rappeler ses devoirs à un membre de la profession et, si ce sont des devoirs légaux, faire intervenir les pouvoirs publics. Mais les juridictions professionnelles, élues par la profession, ne sanctionnent les atteintes à leur déontologie qu’après coup, par des peines disciplinaires. Elles jouissent, à cet égard, d’une large autonomie.

Ces juridictions émanent de la profession elle-même. Dans les professions qui ne sont pas légalement organisées, une juridiction élémentaire statuant sur les fautes déontologiques n’en est pas moins confiée aux organes du syndicat ou de l’association dont le professionnel est membre. Le pouvoir juridictionnel de ces groupements, en matière de discipline, découle de leur légitimité. Mais les décisions disciplinaires sanctionnant ainsi des règles déontologiques pourront être annulées par les tribunaux judiciaires si elles ont manqué à des règles d’ordre public. Ce contrôle revêt plusieurs aspects. D’une part, les tribunaux veillent au respect des « droits de la défense » du professionnel inculpé. Cette sauvegarde d’une défense possible du plaideur se rattache à un ordre public commun à toutes les juridictions. D’autre part, une condamnation disciplinaire sera annulée si la prétendue règle déontologique que la profession voulait imposer est incompatible avec les libertés que garantit notre droit. Enfin, les tribunaux judiciaires se reconnaissent le droit de contrôler la réalité du fait même de l’infraction prétendument contraire à une règle déontologique.

Le professionnel injustement sanctionné peut, non seulement faire annuler la sentence, mais obtenir, auprès des tribunaux judiciaires, des dommages-intérêts auxquels sera condamné le groupement professionnel ayant commis une injustice.

Ces règles s’appliquaient aux médecins eux-mêmes avant que l’Ordre médical eût été légalement établi: les syndicats médicaux avaient, en effet, créé des « conseils de famille » professionnels pour garantir une déontologie. Mais quand les lois en viennent à organiser une profession déterminée, elles réglementent, d’ordinaire, soit directement, soit par voie de décret complémentaire, la composition et le fonctionnement de ses juridictions disciplinaires.

Pour les officiers ministériels, ce sont les chambres élues par eux qui, conformément à l’ordonnance du 28 juin 1945, rendent la justice disciplinaire qui les concerne. Mais le procureur de la République peut aussi saisir le tribunal. Un recours est toujours possible devant la cour d’appel, et peut être suivi d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Les tribunaux administratifs sont incompétents. Quant aux avocats, c’est le conseil de l’ordre élu par chaque barreau qui juge disciplinairement les membres de celui-ci, soit sur la plainte de la victime de l’acte répréhensible, soit sur les réquisitions du procureur de la République. Ici encore un appel est possible, ainsi qu’un pourvoi en cassation.

Pour les professions organisées en ordre national, ce sont les conseils de l’ordre régional élus qui font office de juridiction disciplinaire de première instance, le Conseil national, lui-même élu, jouant le rôle de juridiction d’appel. Mais un représentant de l’État est souvent présent: tantôt c’est un commissaire du gouvernement faisant office de ministère public, c’est le cas pour les experts-comptables (art. 56 et suivants de l’ordonnance du 19 sept. 1945) et pour les géomètres-experts (art. 11 de la loi du 7 mai 1946); tantôt un conseiller à la cour d’appel est appelé à présider le conseil régional, comme pour les vétérinaires (art. 319 du Code rural). Pour les médecins, c’est seulement au stade de l’appel que le Conseil national de l’Ordre est présidé par un conseiller d’État. Enfin, pour tous ces ordres, un pourvoi en cassation peut être porté devant le Conseil d’État, contre la décision disciplinaire du Conseil national de l’Ordre.

Quand un médecin a manqué aux devoirs particuliers qui lui incombent dans le concours qu’il doit apporter aux assurances sociales, les conseils appelés à statuer en matière disciplinaire ne sont plus seulement composés d’élus du corps médical. Le médecin-conseil régional de la Sécurité sociale figure, à titre consultatif, dans le conseil régional de l’Ordre des médecins, statuant en première instance. L’appel est porté devant la section des assurances sociales au Conseil national et comprend alors un médecin et un représentant des caisses de Sécurité sociale désignés par le ministre du Travail. Ces sections disciplinaires ont d’ailleurs des pouvoirs plus étendus que les juridictions disciplinaires de droit commun: le malade peut invoquer leur autorité en matière d’honoraires.

6. Droit commun et droit déontologique

Bien qu’il soit reconnu par les institutions françaises comme un droit positif, il est à remarquer que le droit déontologique est clos et restreint à la profession. Si celle-ci est admise à codifier les devoirs de ses membres, c’est, pourrait-on dire, à l’usage interne.

Il faut souligner, d’abord, que les règles de déontologie sont sans efficacité juridique à l’égard de tous ceux qui n’appartiennent pas à la profession qu’elles régissent: ils peuvent sans doute porter plainte devant les juridictions disciplinaires si une faute déontologique du professionnel a porté atteinte à leurs intérêts; mais aucune discipline professionnelle ne les engage personnellement. Ainsi, quand le Code de déontologie des médecins (art. 71 et 77) exige que les contrats passés par eux avec des tiers soient communiqués au Conseil de l’Ordre, le cocontractant n’a nullement à se préoccuper de cette règle, destinée seulement à permettre à l’Ordre de vérifier si le médecin a été fidèle à la déontologie médicale en passant le contrat. Même si cette déontologie n’a pas été respectée par le médecin, le contrat est civilement valable du moment qu’il ne viole aucune règle de droit commun. Les tribunaux civils veilleront à son application.

De même, la décision prise par la juridiction disciplinaire compétente en matière de déontologie est indépendante des décisions prises par des juridictions civiles ou pénales, à raison des mêmes faits. La réciproque est encore plus vraie: quand un fait peut être doublement incriminé, comme contraire à la déontologie professionnelle de son auteur et comme constituant un délit pénal, rien n’empêche qu’une seule des juridictions compétentes, disciplinairement ou correctionnellement, soit saisie et statue librement. Si une juridiction répressive connaît déjà de ce fait, la juridiction disciplinaire, à l’inverse des tribunaux civils, n’est jamais tenue de surseoir à statuer elle-même jusqu’à ce que le juge répressif se soit prononcé. Par la suite (sauf pour certains délits spéciaux), elle pourra relaxer le prévenu condamné par la juridiction répressive ou inversement. Il semble, seulement, que la juridiction disciplinaire ne puisse fonder un acquittement ou une condamnation sur un fait expressément nié par le juge répressif et ayant constitué, pour sa sentence propre, un motif nécessaire.

En réalité, les objets mêmes de la sentence disciplinaire et de la sentence répressive diffèrent, ce qui justifie des appréciations divergentes. Cela explique pourquoi, en droit pénal, aucune peine ne peut être prononcée sans être prévue par un texte exprès. Mais, disciplinairement, au contraire, peuvent être sanctionnées, comme on l’a vu, des fautes contre la morale et contre l’honneur, qu’aucun texte particulier n’a définies, du moment qu’elles portent atteinte à la dignité de la profession.

Bien entendu, aucune règle ne s’oppose à l’application cumulative, à l’occasion d’un même fait, de peines disciplinaires sanctionnant une faute déontologique et de peines frappant un crime, un délit ou une contravention, par l’effet d’une décision des tribunaux répressifs. Le principe du non-cumul des peines n’a pas place dans les rapports entre les sanctions disciplinaires et les peines de droit commun. Par exemple, deux suspensions d’exercice de fonctions, l’une à titre disciplinaire, l’autre à titre répressif, s’appliqueront indépendamment l’une de l’autre.

Cette indépendance du droit commun à l’égard du droit déontologique se vérifie aussi au point de vue civil. Le Code de déontologie ne lie pas le juge civil. Le Code de déontologie, par exemple, semble autoriser, de manière générale, le médecin à cacher au malade la vérité, mais les tribunaux civils refusent de reconnaître la valeur générale du principe ainsi posé. En particulier, ils exigent que les médecins, avant de tenter une intervention comportant des risques graves pour le patient, donnent à celui-ci (ou à ses proches si son état mental ne peut les supporter) les indications exactement nécessaires pour qu’il puisse prendre une décision libre en ce qui concerne son propre corps. Si le médecin manque à cette règle, une responsabilité civile sera reconnue à sa charge par les tribunaux judiciaires alors que, déontologiquement, le Conseil de l’Ordre peut nier l’existence d’une faute disciplinaire.

Il faut même remarquer que les règles déontologiques d’une profession, et les décisions juridictionnelles prises disciplinairement en vertu de ces règles, sont indépendantes des règles déontologiques des autres professions que le même homme peut cumuler avec la première. Un professeur de Faculté de médecine, médecin des hôpitaux, pourra ainsi, éventuellement, pour le même acte, être disciplinairement poursuivi devant le Conseil de l’Ordre des médecins, devant la juridiction disciplinaire hospitalière et devant la juridiction disciplinaire universitaire. Leurs décisions seront indépendantes les unes des autres.

Ces règles, qui sont certaines, n’empêchent pas, bien entendu, chacune des juridictions saisies de pouvoir moralement tenir compte des devoirs communs que le professionnel a envers sa profession et envers la société. Notamment, dans un procès en responsabilité civile intenté contre un professionnel, les devoirs que ces règles déontologiques lui imposent envers ses clients seront certainement pris en considération. Mais le principe demeure que les règles déontologiques ne lient ni les juges civils ni les juges répressifs, chacun statuant dans son domaine.

déontologie [ deɔ̃tɔlɔʒi ] n. f.
• 1823; angl. deontology; gr. deon, ontos « devoir » et -logie
Didact.
1Théorie des devoirs, en morale.
2Ensemble des devoirs qu'impose à des professionnels l'exercice de leur métier. aussi éthique. Code de déontologie des médecins. Cottard « par déontologie s'abstenait de critiquer ses confrères » (Proust). Par ext. « rien qu'on pût tirer sans enfreindre grossièrement la déontologie de la chasse » (Tournier).

déontologie nom féminin (anglais deontology, du grec deon, -ontos, ce qu'il faut faire, et-logie) Ensemble des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l'exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients et le public.

déontologie
n. f. Didac.
d1./d Théorie des devoirs moraux.
d2./d Morale professionnelle, théorie des devoirs et des droits dans l'exercice d'une profession. Déontologie médicale.

⇒DÉONTOLOGIE, subst. fém.
A.— PHILOS. MOR. Théorie des devoirs :
Pour Aristote, il existe assurément une déontologie; il y a des choses qu'il « faut » faire, il ne faut les faire que parce qu'elles sont requises pour atteindre une certaine fin.
GILSON, L'Esprit de la philos. médiév., 1932, p. 150.
Rem. Le (quasi-)synon. vx déontologisme, subst. masc., est attesté par LITTRÉ, Lar. 19e Suppl. 1878-Lar. 20e et GUÉRIN 1892.
B.— P. ext., cour. Ensemble des règles morales qui régissent l'exercice d'une profession ou les rapports sociaux de ses membres. Code de déontologie. La déontologie médicale s'enseigne comme une partie de la formation professionnelle du médecin (Traité sociol., 1968, p. 344). Il [le jeu] possède sa déontologie qui ne se confond pas avec ses règles (Jeux et sp., 1968, p. 481).
Rem. On rencontre ds la docum. déontologique, adj. Qui ressortit à la déontologie. La question d'ordre déontologique (MARROU, Connaiss. hist., 1954, p. 213). L'ensemble des principes déontologiques et réglementaires (Jeux et sp., 1968, p. 484).
Prononc. :[]. Seule transcr. de déontologisme ds LITTRÉ : dé-on-to-lo-gi-sm'. Étymol. et Hist. A. 1825 déontologie (Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'Art et Science, Ouvrage extrait du Chrestomathia de Jérémie Bentham, p. 231 ds MACK.). B. 1874 déontologisme (P. JANET, La philosophie sociale en Angleterre ds Revue des Deux-Mondes, 1er nov., p. 105 note : les utilitaires appellent déontologisme la morale du devoir). A empr. à l'angl. deontology (< gr. « ce qu'il convient de faire » et « le discours, la doctrine », cf. suff. -logie) Bentham in West. Rev., VI, 448 ds NED :Ethics has received the more expressive name of Deontology. B dér. du rad. de déontologie, suff. -isme. Fréq. abs. littér. :4. Bbg. QUEM. Fichier.

déontologie [deɔ̃tɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1823, in D. D. L.; angl. deontology, terme créé par J. Bentham, du grec deon, deontos « devoir » (→ Déontique), et logos « discours ».
Didact. Théorie des devoirs, en morale.
0.1 Pour Aristote, il existe assurément une déontologie; il y a des choses qu'il « faut » faire, il ne faut les faire que parce qu'elles sont requises pour atteindre une certaine fin.
Gilson, l'Esprit de la philosophie médiévale, p. 150.
Spécialt. Ensemble des règles et des devoirs régissant une profession. || Déontologie médicale : ensemble des règles et des devoirs professionnels du médecin.
1 Cottard qui d'habitude, par déontologie, s'abstenait de critiquer ses confrères, ne put s'empêcher de s'écrier (…)
Proust, À la recherche du temps perdu, t. X, p. 144.
2 (…) les syndicats s'attribuent le privilège de réprimander et même de flétrir ceux de leurs membres qui sont jugés coupables de fautes contre la déontologie, contre la probité professionnelle, contre l'honneur médical.
G. Duhamel, Défense des lettres, VII, p. 172.
3 Pour quelques jours de survie, ma mère avait risqué d'affreuses souffrances. Sur quoi donc se fonde cette féroce déontologie qui exige la réanimation à tout prix ? Sous prétexte de respecter la vie, les médecins s'arrogent le droit d'infliger à des êtres humains n'importe quelle torture et toutes les déchéances : c'est ce qu'ils appellent faire leur devoir.
S. de Beauvoir, Tout compte fait, p. 111.
DÉR. Déontologique, déontologiste ou déontologue.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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